dimanche 22 février 2009

La dé-évolution passée au scalpel

J'ai écrit ce papier dans le cadre d'une revue semestrielle qui devait sortir un numéro spécial Futur. Entre temps, la maison d'édition s'est vue privée d'avenir donc la revue a été annulée. Cet essai est un peu daté et trop long pour être lu sur internet mais le voici quand même...


Les visages des courtiers en bourse sont déformés par des grimaces animales. La guerre civile est infinie en Somalie. Les faits divers repoussent les limites du macabre et Coldplay pullule en tête de gondole. C'est ainsi que se manifeste chaque jour l'insanité du cerveau humain.
Elle prouve que l'évolution de l'homo sapiens ne va pas dans le même sens que ses désirs de grandeur. Parce qu'on est au 21ème siècle, certains s'attellent à recréer des phénomènes naturels. Les scientifiques européens du CERN se sont donc en toute modestie attaqués au Big Bang. Alors le futur, consiste-t-il à lever le voile sur notre passé ?
Pour expliquer notre déviance, chercher l'origine de notre existence est sûrement une piste à explorer. Avant de faire des expériences déployant 27 km de ferraille à 100 mètres sous terre, bien des thèses ont immergé de crânes de notre espèce. Les tentatives d'explications furent à la source d'œuvres d'une imagination incontestable. La plus fameuse implique un Dieu adepte de la punition sadique puisqu'il vire Adam et Eve du paradis dès que cette dernière tente de se nourrir d'une modeste pomme. Ce récit influença le meilleur comme le pire : d'Elvis Presley à Jeff Buckley, d'Emmaüs au Ku Klux Klan. Des histoires de ce genre, il en existe pléthore, religieuses ou sectaires, d'autres scientifiques, mais sans cesse remises en cause. Jusque là, je ne vous apprends rien.
Il existe par contre une thèse plus confidentielle portée par le Hongrois Oscar Kiss Maerth. Et si personne ne s'est encore entretué pour la défendre, elle compte pour fidèles Devo. Son influence est le fil rouge de l'œuvre de ces musiciens adeptes de chapeaux à la géométrie complexe qui leur font office de dômes d'énergie. Leur influence à ce jour reste toutefois plus importante pour la new wave que pour la science.
Pourtant, comme pour d'autres formations rock, leur regard sur la société n'est pas de la poudre aux yeux. Ils pointent du doigt le chaos comme évidence que l'homme n'évolue pas vers le haut. Devo mérite donc du crédit et qu'on fasse l'impasse sur leurs uniformes en plastoc ridicules, qui ont la lourde tâche de signifier la conformité environnante. Considérons maintenant la thèse anthropologique en laquelle ils ont foi :
L'homme doit son avènement à un singe qui a mangé le cerveau d'un de ses compagnons pour accroître son désir sexuel.
C'est ce qu'affirme Oscar Kiss Maerth, rebaptisé "Kiss My Ass" par Devo. Ses idées ont été rendues publiques dans son livre "The Beginning Was the End : Knowledge Can Be Eaten". Le sous-titre, traduit "la connaissance est mangeable", trouve une bonne résonance à sa publication en 1974, où malgré le premier choc pétrolier, le festin de trente ans de joyeuse orgie consommatrice n'est pas encore débarrassé. C'est aussi pour la France l'année de la réforme de l'ORTF, donc de la naissance de TF1, chaîne qui s'est depuis autoproclamée experte pour sucer nos cerveaux.
Le pseudo-scientifique Kiss Maerth a écrit son livre dans un monastère chinois au début des années 70, alors qu'il pratiquait la méditation et le yoga. Dans ce contexte on se le figure comme un hippie rêvant une théorie qui empeste le patchouli. Et pourtant…Certes il n'a pas su apporter de preuve scientifique à sa théorie, parlant seulement d'inspiration divine. Mais sa vision anthropologique n'en est pas moins intriguante.
Selon lui, le singe augmenta la taille de son cerveau en se nourrissant de celui de ses congénères. Ce régime alimentaire eu pour effet d'accroître son appétit sexuel, son agressivité et sa folie. Le singe scalpélisé, l'homme était né. Pas étonnante alors, notre appétence à nous détruire les uns les autres.


L'auteur a lui-même mangé des cerveaux de singes dans un restaurant d'Asie du Sud. Mais surtout, il a vécu avec des cannibales en Nouvelle-Guinée et à Java. L'Homo erectus de Java est selon des découvertes datant du 19ème siècle le premier homme à avoir peuplé un archipel, il y a plus d’un million d’années. En vivant avec ces tribus, il les a observées et pris connaissance de leurs mythes, qui l'ont certainement inspiré.
L'idée selon laquelle le cannibalisme aurait donné à l'homme une nature violente, malsaine, dérangée et obsédée ne serait pas si absurde. Il circule sur le web une information affirmant qu'elle pourrait être validée par des recherches sur des bactéries dont celle à l'origine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Mais ne nous embrouillons pas plus, puisque cette revue n'est pas scientifique. Et ce qui a certainement retenu l'attention de Devo, c'est surtout ce que cette découverte représente symboliquement. Elle est idéale pour dénoncer la bêtise humaine surprise à son sommet quand le parolier Gerald Casale et ses amis se font tirer dessus en 1970, alors qu'ils manifestent contre l'invasion du Cambodge par les Américains. Les fleurs de leurs années hippies se ternissent et laissent éclore le dégoût des réalités industrielles. Alors Gerald Casale, Mark Mothersbaugh, et Bob Casale deviennent des proto-punks et entrent dans la légende de la new wave, grâce à des idées tout de même originellement plutôt new age.
Après avoir découvert le livre de "Kiss My Ass", ils tournent "The Truth About De-evolution", un film primé au festival de film expérimental d'Ann Harbor, soit disant grâce à des messages subliminaux qui ont conditionné le jury. Ces messages sont probablement calés quelque part entre deux coups de raquette de ping-pong qu'on peut y voir infligés sur les fesses d'une blonde. L'absurdité dadaïste de ces étudiants en art n'échappe pas à David Bowie ni à Iggy Pop qui empressent Warner Bros de les signer. Depuis lors, les paroles signées par Gerald Casale oscillent entre humour et révolte sur la société moderne qui régresse. Devo est dévot de Kiss Maerth et propage la rumeur "We Are Not Men, We Are Devo" et les singes n'ont rien à nous envier.
Trouvera-t-on bientôt des singes en Suisse ?
Si l'Homme régresse, il fait quand même une ascension pour caresser la lune. Et quand des méninges issues de différents pays d'Europe s'unissent au CERN (Organisation Européenne pour la recherche nucléaire), à Genève, elles ont la vanité de vouloir percer les mystères de la création de la Terre. Pour ce faire, ils se sont attelés pendant près de douze ans à la création du Grand collisionneur de hadrons. Sa mission est de recréer le Big Bang en accélérant des particules pour recréer les conditions qui auraient permis la création de la Terre.
La peur que l'expérience fonctionne si bien qu'elle pourrait créer un trou noir coupable d'un nouveau Big Bang se sont vite fait entendre. La Suisse, le pays connu par tous pour son néant historique accueillerait-il la machine qui mettra fin à l'histoire de l'humanité ?
Une Indienne terrifiée à cette idée s'est suicidée pour ne pas avoir à affronter cette éventualité. Ca n'en valait vraiment pas la peine, puisque la mise en route s'est passée sans encombre, jusqu'à l'interruption quelques jours après le lancement pour cause de problèmes techniques. Les scientifiques attendront au moins le printemps 2009 pour remettre en marche leur machine et pourquoi pas provoquer cette fin qui bouclerait la boucle. Cela ne déplairait pas à un certain Gérald Casale. Je suis allée recueillir le produit de sa cervelle, en voici un caviar : "C'est malheureux que les prédictions d'un désastreux trou noir aient été ridicules. Ca aurait été une façon excitante pour l'homme de supprimer sa propre existence une bonne fois pour toutes. Il semble que les Etats-Unis ont trouvé une façon efficace mais plus lente d'y parvenir maintenant que nous avons une population psychotique et sous-humaine de cons élisant des cons qui reflètent leur propre connerie."


La présence du futur
Une connerie qui fait craindre pour le futur. Nous en sommes chaque jour les témoins et surtout les sujets. Et comme l'auteur de la théorie de la dé-évolution a été mis en camp de concentration lui-même, on comprend plus encore le peu d'espoir qu'il a en la nature humaine. L'homme né de la consommation de cerveau a appris à le commercialiser. Le but premier du singe auquel croit Kiss Maerth, ne l'oublions pas, était d'augmenter ses pulsions sexuelles. L'être humain, entre deux caddies, n'a pas perdu sa faculté à se reproduire pour que les générations futures reproduisent en boucle les mêmes événements. Comme en témoignent la musique, la mode ou la politique, nous revenons toujours à un mouvement arrière. Et c'est justement pour cela que nous craignons pour le futur. Avoir peur du futur c'est craindre le présent et le passé, car nous savons qu'il ne fera que se répéter.
Après, chers cannibales lecteurs, il nous appartient de se demander ou non d'où nous venons pour savoir où nous allons. Et ainsi choisir de sacrifier le futur à découvrir, si nous en avons le temps, quel est, du nom de l'album de Devo sorti en 1979, notre "Duty Now For The Future".

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