dimanche 22 février 2009

La dé-évolution passée au scalpel

J'ai écrit ce papier dans le cadre d'une revue semestrielle qui devait sortir un numéro spécial Futur. Entre temps, la maison d'édition s'est vue privée d'avenir donc la revue a été annulée. Cet essai est un peu daté et trop long pour être lu sur internet mais le voici quand même...


Les visages des courtiers en bourse sont déformés par des grimaces animales. La guerre civile est infinie en Somalie. Les faits divers repoussent les limites du macabre et Coldplay pullule en tête de gondole. C'est ainsi que se manifeste chaque jour l'insanité du cerveau humain.
Elle prouve que l'évolution de l'homo sapiens ne va pas dans le même sens que ses désirs de grandeur. Parce qu'on est au 21ème siècle, certains s'attellent à recréer des phénomènes naturels. Les scientifiques européens du CERN se sont donc en toute modestie attaqués au Big Bang. Alors le futur, consiste-t-il à lever le voile sur notre passé ?
Pour expliquer notre déviance, chercher l'origine de notre existence est sûrement une piste à explorer. Avant de faire des expériences déployant 27 km de ferraille à 100 mètres sous terre, bien des thèses ont immergé de crânes de notre espèce. Les tentatives d'explications furent à la source d'œuvres d'une imagination incontestable. La plus fameuse implique un Dieu adepte de la punition sadique puisqu'il vire Adam et Eve du paradis dès que cette dernière tente de se nourrir d'une modeste pomme. Ce récit influença le meilleur comme le pire : d'Elvis Presley à Jeff Buckley, d'Emmaüs au Ku Klux Klan. Des histoires de ce genre, il en existe pléthore, religieuses ou sectaires, d'autres scientifiques, mais sans cesse remises en cause. Jusque là, je ne vous apprends rien.
Il existe par contre une thèse plus confidentielle portée par le Hongrois Oscar Kiss Maerth. Et si personne ne s'est encore entretué pour la défendre, elle compte pour fidèles Devo. Son influence est le fil rouge de l'œuvre de ces musiciens adeptes de chapeaux à la géométrie complexe qui leur font office de dômes d'énergie. Leur influence à ce jour reste toutefois plus importante pour la new wave que pour la science.
Pourtant, comme pour d'autres formations rock, leur regard sur la société n'est pas de la poudre aux yeux. Ils pointent du doigt le chaos comme évidence que l'homme n'évolue pas vers le haut. Devo mérite donc du crédit et qu'on fasse l'impasse sur leurs uniformes en plastoc ridicules, qui ont la lourde tâche de signifier la conformité environnante. Considérons maintenant la thèse anthropologique en laquelle ils ont foi :
L'homme doit son avènement à un singe qui a mangé le cerveau d'un de ses compagnons pour accroître son désir sexuel.
C'est ce qu'affirme Oscar Kiss Maerth, rebaptisé "Kiss My Ass" par Devo. Ses idées ont été rendues publiques dans son livre "The Beginning Was the End : Knowledge Can Be Eaten". Le sous-titre, traduit "la connaissance est mangeable", trouve une bonne résonance à sa publication en 1974, où malgré le premier choc pétrolier, le festin de trente ans de joyeuse orgie consommatrice n'est pas encore débarrassé. C'est aussi pour la France l'année de la réforme de l'ORTF, donc de la naissance de TF1, chaîne qui s'est depuis autoproclamée experte pour sucer nos cerveaux.
Le pseudo-scientifique Kiss Maerth a écrit son livre dans un monastère chinois au début des années 70, alors qu'il pratiquait la méditation et le yoga. Dans ce contexte on se le figure comme un hippie rêvant une théorie qui empeste le patchouli. Et pourtant…Certes il n'a pas su apporter de preuve scientifique à sa théorie, parlant seulement d'inspiration divine. Mais sa vision anthropologique n'en est pas moins intriguante.
Selon lui, le singe augmenta la taille de son cerveau en se nourrissant de celui de ses congénères. Ce régime alimentaire eu pour effet d'accroître son appétit sexuel, son agressivité et sa folie. Le singe scalpélisé, l'homme était né. Pas étonnante alors, notre appétence à nous détruire les uns les autres.


L'auteur a lui-même mangé des cerveaux de singes dans un restaurant d'Asie du Sud. Mais surtout, il a vécu avec des cannibales en Nouvelle-Guinée et à Java. L'Homo erectus de Java est selon des découvertes datant du 19ème siècle le premier homme à avoir peuplé un archipel, il y a plus d’un million d’années. En vivant avec ces tribus, il les a observées et pris connaissance de leurs mythes, qui l'ont certainement inspiré.
L'idée selon laquelle le cannibalisme aurait donné à l'homme une nature violente, malsaine, dérangée et obsédée ne serait pas si absurde. Il circule sur le web une information affirmant qu'elle pourrait être validée par des recherches sur des bactéries dont celle à l'origine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Mais ne nous embrouillons pas plus, puisque cette revue n'est pas scientifique. Et ce qui a certainement retenu l'attention de Devo, c'est surtout ce que cette découverte représente symboliquement. Elle est idéale pour dénoncer la bêtise humaine surprise à son sommet quand le parolier Gerald Casale et ses amis se font tirer dessus en 1970, alors qu'ils manifestent contre l'invasion du Cambodge par les Américains. Les fleurs de leurs années hippies se ternissent et laissent éclore le dégoût des réalités industrielles. Alors Gerald Casale, Mark Mothersbaugh, et Bob Casale deviennent des proto-punks et entrent dans la légende de la new wave, grâce à des idées tout de même originellement plutôt new age.
Après avoir découvert le livre de "Kiss My Ass", ils tournent "The Truth About De-evolution", un film primé au festival de film expérimental d'Ann Harbor, soit disant grâce à des messages subliminaux qui ont conditionné le jury. Ces messages sont probablement calés quelque part entre deux coups de raquette de ping-pong qu'on peut y voir infligés sur les fesses d'une blonde. L'absurdité dadaïste de ces étudiants en art n'échappe pas à David Bowie ni à Iggy Pop qui empressent Warner Bros de les signer. Depuis lors, les paroles signées par Gerald Casale oscillent entre humour et révolte sur la société moderne qui régresse. Devo est dévot de Kiss Maerth et propage la rumeur "We Are Not Men, We Are Devo" et les singes n'ont rien à nous envier.
Trouvera-t-on bientôt des singes en Suisse ?
Si l'Homme régresse, il fait quand même une ascension pour caresser la lune. Et quand des méninges issues de différents pays d'Europe s'unissent au CERN (Organisation Européenne pour la recherche nucléaire), à Genève, elles ont la vanité de vouloir percer les mystères de la création de la Terre. Pour ce faire, ils se sont attelés pendant près de douze ans à la création du Grand collisionneur de hadrons. Sa mission est de recréer le Big Bang en accélérant des particules pour recréer les conditions qui auraient permis la création de la Terre.
La peur que l'expérience fonctionne si bien qu'elle pourrait créer un trou noir coupable d'un nouveau Big Bang se sont vite fait entendre. La Suisse, le pays connu par tous pour son néant historique accueillerait-il la machine qui mettra fin à l'histoire de l'humanité ?
Une Indienne terrifiée à cette idée s'est suicidée pour ne pas avoir à affronter cette éventualité. Ca n'en valait vraiment pas la peine, puisque la mise en route s'est passée sans encombre, jusqu'à l'interruption quelques jours après le lancement pour cause de problèmes techniques. Les scientifiques attendront au moins le printemps 2009 pour remettre en marche leur machine et pourquoi pas provoquer cette fin qui bouclerait la boucle. Cela ne déplairait pas à un certain Gérald Casale. Je suis allée recueillir le produit de sa cervelle, en voici un caviar : "C'est malheureux que les prédictions d'un désastreux trou noir aient été ridicules. Ca aurait été une façon excitante pour l'homme de supprimer sa propre existence une bonne fois pour toutes. Il semble que les Etats-Unis ont trouvé une façon efficace mais plus lente d'y parvenir maintenant que nous avons une population psychotique et sous-humaine de cons élisant des cons qui reflètent leur propre connerie."


La présence du futur
Une connerie qui fait craindre pour le futur. Nous en sommes chaque jour les témoins et surtout les sujets. Et comme l'auteur de la théorie de la dé-évolution a été mis en camp de concentration lui-même, on comprend plus encore le peu d'espoir qu'il a en la nature humaine. L'homme né de la consommation de cerveau a appris à le commercialiser. Le but premier du singe auquel croit Kiss Maerth, ne l'oublions pas, était d'augmenter ses pulsions sexuelles. L'être humain, entre deux caddies, n'a pas perdu sa faculté à se reproduire pour que les générations futures reproduisent en boucle les mêmes événements. Comme en témoignent la musique, la mode ou la politique, nous revenons toujours à un mouvement arrière. Et c'est justement pour cela que nous craignons pour le futur. Avoir peur du futur c'est craindre le présent et le passé, car nous savons qu'il ne fera que se répéter.
Après, chers cannibales lecteurs, il nous appartient de se demander ou non d'où nous venons pour savoir où nous allons. Et ainsi choisir de sacrifier le futur à découvrir, si nous en avons le temps, quel est, du nom de l'album de Devo sorti en 1979, notre "Duty Now For The Future".

mercredi 11 février 2009

Black Lips

Black Lips is the best band in my world, their new album 200 Million Thousand is 200 Million Thousand better than any of the shit that's going to be release this year. They did travel possibily more than 200 Million Thousand km around the world. I was expecting and almost agreeing to meet with arrogants guys jumping all around. I don't know if it's fortunate or not but that didn't happen. Instead I met Black Lips singer and guitar player Jared, who lost his moustache that morning but not his kindness.
(I stole that picture on some girl's flick'r, sorry & thank you stranger)
La version française sera dès lundi sur le site www.gonzai.com

Last time you were in Paris you said that you wanted to become more a recording band than just a live band. Is 200 Million Thousand supposed to convince people of this change ?
Well,
a lot of attention was put on the live aspect on our previous albums. Maybe this one is different, I'm not sure. But we spend most of the year touring so it obviously goes that way. Instrumentation was done live, but the process was a little different than previously because we bought our own studio. Now we make our own rules and there is a more relaxed atmosphere. Usually someone else is watching and it's costing a lot money. This time we could just work when we wanted to work so that was kind of nice.

Did you get new influences that makes it different from the others ?
We're always into the same kind of stuff. After the album was done we got really into gospel music so we recorded a gospel album in Berlin, that one might be influenced by different things. A lot of people who heard 200 Million Thousand said it sounds a little weirder and maybe a little darker.

Did you start recording this album in Berlin when you came back from touring in India ?
Yes ! it's a gospel album, we might release it only on vinyl and just put in for free on the Internet. We finished the artwork we just have to have it mastered now. It was a surprise project, we were really bumped out that our trip to India got cut short so we wanted to do something positive and being productive with our time in Berlin. It was very unexpected so it was really spontaneous, very sloppy and lo-fi but I like very slappy and lo-fi music so... I'm very happy with the way it turned out.

Talking about what happened to you in India, is it going to change your way of acting on stage ?
No, not at all ! But we're not gonna go back to India as a band. I'd like to go back there as a tourist. We might have trouble going back but you know, the world is a big place there is a lot of places to go. I was a little bit upset with the way all that got shitted. We didn't know how the reaction was gonna be in India. We had a crazy show and that's the show where kids really got into it. The promoters were happy until.. we kissed each other, because they're very homophobic there. You could go to jail for that, we didn't know that, no one told us.

So it's not because you got naked ?
No no, it was the kissing. People walk around naked on the street there. But you can't kiss in public even if it's a boy or a girl. And it's very bad when it's a boy and a boy but they never told us. They saw the videos before, they should have said : "hey guys don't kiss that's not cool in India" but they never told us that. It's the kiss of artistic repression !

In which places where you haven't played yet would you like to play?
I really want to go to Africa. It's gonna be hard. But Cole's mum lives in Uganda so maybe we can just go visit her and play in some bars. I really want to go to Japan. I want to play in Cuba. We had shows in Argentina and Chile but because the economy is so bad they canceled the shows because they didn't have any money but I'd play there for free.

When you travel like this, do you go to meet an audience or just because you want to travel ?
In places like that I have an audience... but also going there as a musician is like a ticket for tourism. You get free travels, sometimes you get paid, you get to meet people that you'd probably hang out with if you lived there. You don't have to stay in the hotel, you can go with people and see the real stuff. It's possibly selfish reasons to go there but... Yeah, I like to travel.

Is it why Vice likes so much to work with you ?
It helps because they like to travel, we like to travel. It's a good working relationship.

If Black Lips didn't want to have anything to do with Vice Records anymore, which band would you recommend them to replace you ?
(visibly confused) I don't know....

You listen to new bands ?
Yeah but they're all really kind of obscure. My favorite band is the Spits from Seattle but nobody knows who they are.(http://www.myspace.com/thespits). Sam thing for King Khan & The Barbecue Show from Montreal, I guess some people know about them... or The Carbonas, they're from Atlanta. Oh no they just broke up, damn it ! but they've been around for a long time. I also like The Vivian Girls.

Don't you think you've been a great influence for bands like Strange Boys, Golden Triangle...
Oh maybe, I hope so. I would like kids to listen to us and then listen to the bands we're influenced by, that would be cool. It's a real honor when kids say “I've been really influenced by you”. I think one of the Strange Boys sent me a letter one time saying like thank you for your recordings. I still have the letter... it was kind of... sweet. (smile)

Let's get back to the album, why did you pick this name ?
Oh it's just the biggest number we could think of. In English, people are always making up new words so we decided to make up new numbers. It seems like a big number, it kind of sounds futuristic but kind of sounds stupid too. I like mixing retarded stuff with smart stuff...

Ok so now I'm going to ask you some numbers too.
How many times did you pretend to have fun on stage ?
I never actually pretend to have fun on stage but I almost did it. It almost happened the other night, in Hamburg. It was a tiny club and they had too many people there it was very hot. It was quite the same during our first tour in France. We were playing small places in basements, and that was so much smoke and sweat....

Do you have any expectation from your audience to go as crazy as you do when you're on stage ?
No I don't expect anything out of them because I used to see bands who would tell to the audience “dance”, “come closer”, I hated that, you would lose the magic and it's not natural. If it happens that's great but if it doesn't you can't force it because then it's cheap.

How many days did you spend recording the album ?
I'm not sure because we were touring in between. I would say maybe 23 days.

How many cans of your drink D-Tune did you drink during the recording ?
Oh none!

It's not ready yet ?
It sucks ! The last time I drank it we got so sick on tour because Ian's brother put too much of .. I forget wich chemical was in it. But we're trying to perfect it. The food and drug administration won't approve it because we have ingredients from Russia and Brazil that are not legal in America. We're still working on it. We left all our bottles in Tijuana because we were afraid to bring them back over the US border.

How many countries have banned you ?
Well, Canada, maybe India now, and we can't go to Syria, we can't go to Iran and oh we can't go to Cuba because we have American passports !
So I would say about 7 countries.

How many gigs have you played so far ?
In our life...!! oh Jesus, close to 10 years.... 250 shows a year, sometimes more than one show in one day....

That's a lot ! Is it a hard lifestyle ?
Oh no I feel sick when I'm at home not doing anything, I go crazy after two weeks. I'm very used to this lifestyle. I grew touring you know, so... That's weird to be home because I feel like an old man or I feel like retired. Sometimes you get tired of it but we built a strong resistance, we never get sick of touring.

L'Eden de la pub

Demain nous fêtons le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin.
Mais les créatifs de pub n'en finissent pas de détourner un mythe plus glamour, celui d'Adam & Eve, quelque peu malmenés...
En France, ils idolâtrent la pomme de terre....

Adam & Eve
envoyé par djfaboon

La Suède fait virer de bord Adam dans une pub pour des assurances et censure s'en suit.

mardi 10 février 2009

Bertrand Burgalat, la clé sur la porte

L'entretien est originellement publié ici, sur Gonzai.


« La difficulté, ce n'est pas quelqu'un qui n'aime pas le rock, c'est les gens qui croient aimer le rock. » attaque Betrand Burgalat, dès les balbutiements d'une nuit non pas à Taverny mais à Chelles, en banlieue de Paris. Les Cuizines de Chelles reçoivent ce soir de janvier l'encéphale de Tricatel et April March. Ils joueront devant un public majoritairement assis, à l'exception près d'un fan aux jambes azimutées que nous retrouverons plus loin dans notre périple.
Sur le flyer, le ton est donné : le dandy de la pop française fait son tour d'honneur avant de se retirer de l'estrade. Pourtant, il compare cet adieu à la compilation Au Coeur de Tricatel sortie en 1999, alors qu'il pensait tout arrêter. Même s'il se dit fatigué de convaincre, il charrie quand même sur une tournée du retour pour mars. En insertion avec la team de la tournée, nous notons sur notre petit carnet que la set list se prépare en charades improvisées par le band (membres d'Hyperclean et Aquaserge), par les guests Henning Specht, découverts sur myspace, et Yattanoel, ami poète de longue date. Ne manquons pas non plus de balancer que dans les backstage les posters qui font se côtoyer AS Dragon et des groupes de ska festif aux noms en calembours provoquent un foutage de gueule général dont je garde les détails pour un magazine à scandale qui me rémunèrera plus qu'ici. Les lecteurs de Gonzai devront se contenter de l'un des plus clairvoyants et bienveillants bilan de carrière de Monsieur Tricatel qui a définitivement quelque chose à dire sur des serruriers dont ils se serait bien passé : les intermédiaires entre sa musique et le public coupables d'avoir posé des « verrous ».
« Le milieu du rock aujourd’hui, c’est l’antithèse de tout ce qu'il y a de beau dans le rock. Il y a presque beaucoup plus de trucs à apprendre au contact d’un agent de boîte de sécurité qu’à un dîner avec un programmateur de radio rock ! ».
Radios, journalistes, disquaires, les voici ceux qui devront un jour comparaître pour non assistance à culture en danger. Et même si Gonzai est loin d'être le plus coupable, une mise au point de Bertrand s'imposait sur l'article de Little Johnny Jet au sujet des Shades.
"Des gens ricanent sur les Shades. Moi je trouve ça très bien; mais je dis ok les gars, trouvez moi mieux qu'un texte comme Le temps presse ! C'est normal qu'il y ait de l'inertie, mais ce que j'avais trouvé bête, c'est que la seule chronique méchante sur les Shades venait des gens probablement les plus proches. Moi j'ai connu ça dans le cas de Lenoir ou des Inrocks. Je pensais que ce seraient ces gens là les plus enthousiastes au sujet de Tricatel mais ce n'est pas avec eux que ça a été le plus facile. Puis on a eu des surprises : des papiers à la fois dans des fanzines ou dans des canards super grand public, comme Paris Match. Mais il est aussi question de trajectoires, car on voit des gens super passionnés, puis vient le passage où la passion est plus émoussée, où malgré soi, il y a une paresse qui s'instaure. Par exemple, en faisant une émission sur I-télé avec Manœuvre, je me suis rendu compte qu'il ne fallait jamais envoyer un disque cellophané. Même les décellophanés, ça te fatigue. Ce qui est marrant, c'est d'essayer de garder la curiosité que l'on peut avoir pour la musique. Par exemple, il faut éviter de lire les biographies. Il faut éviter d'en savoir le plus possible sur les gens. Des fois on a des surprises, il y a des gens que je croyais détester ; puis en tombant sur un cdr on se dit « ouah c'est pas mal » puis « ah ouais c'est ce con ! » et on est surpris. On s'est donné beaucoup de mal sur l'album des Shades, la seule ligne qu'on a eu c'était de les laisser faire exactement ce qu'ils voulaient, y compris de faire des erreurs. Mais pour nous c'est important. Il ne s'agissait pas que je fasse mon disque par procuration. Car on y croit pour beaucoup plus longtemps et on sait qu'il fallait un premier album comme ça. Il fallait qu'ils s'affranchissent de certains trucs comme de la tutelle des Strokes. Et une fois qu'ils ont couché certains trucs, ils s'en sont instantanément débarrassés. On a quand même réussi à vendre 10 000 albums, ce qui n'est pas si mal quand on pense aux verrous qu'on n'arrive pas à faire sauter. Mais je ne voudrais pas qu'ils déploient toute cette énergie pour reproduire le symptome AS Dragon: Se faire récupérer par les mêmes personnes qui n'étaient pas là au début... Du genre Benjamin doit faire un disque solo etc..."
Bertrand Burgalat ne l'admettra peut-être pas, mais c'est tout de même un peu papa ours qui rugit dès qu'on attaque ses protégés. L'explication rationnelle à ce comportement, la voici: « Je suis plus sensible quand c'est le cas des Shades car j'ai connu leur situation. Même si j'ai l'impression que pour moi les choses se passent mieux qu'il y a quelques années, je me sens mieux compris. Encore qu'en province, je lis encore pas mal de papiers qui commencent par « avec son look de vendeur d'aspirateur, de directeur des RH » et j'ai eu « avec son look de sous préfet en vacances ». Mais c'est marrant car moi il y a plein de trucs que je n'aime pas en musique, mais ce n'est pas à cause du look des gens.»
J'ignore tout du look de Count Indigo, mais ce qui est sûr, c'est que ce projet n'a pas rencontré le succès attendu par Tricatel.
« Count Indigo je regrette énormément, car on voulait faire un disque moderne, qui ne soit pas dans les poncifs du R'nB de l'époque. Qui ne soit pas non plus un truc de soul nostalgique comme la soul qui se fait depuis Amy Winehouse. Count Indigo c'est le disque pour lequel on avait dépensé le plus d'argent, Serge Bozon avait fait un clip. Et je ne sais même pas si on a eu une seule critique. On était en porte à faux car ce n'était pas du rock indé et en même temps nous n'avions pas les clés pour le mainstream. Je pensais que Trinity était un tube, je suis allé voir la programmatrice de Fun Radio. J'ai dit « Oui j'ai la réputation de faire des trucs un peu en marge, mais j'aime bien Toxic de Britney Spears ». Et là elle m'a dit « ah ouais Toxic c'est la chanson qui n'a pas marché !» Je me suis dit, bah là... » Dans un genre très différent, je pense qu'un groupe comme les High Llamas n'a pas la reconnaissance qu'il devrait avoir, comme il y a douze ans quand on a sorti Eggstone. On a fait une tournée en France et c'était consternant, il n'y avait personne alors que c'est l'un des plus grands groupes de pop que j'ai jamais vu. C'est pour ça que là, pour la tournée, on s'est dit, on va pas forcer les gens à venir nous voir, on joue et les gens qui veulent venir nous voir viendront d'eux-mêmes.»

En attendant que la salle de Chelles se remplisse, nous suivons Bertrand au resto chinois. Entre deux nems et piqûres d'insuline, monsieur BB, parlez nous un peu du public de Tricatel: «Les gens que je rencontre dans les concerts, je les trouve agréables. C'est l'avantage d'avoir un public restreint. Je ne veux pas dire qu'on a un public meilleur que celui des autres mais je trouve que Tricatel demande un petit effort. Je n'ai jamais vu quelqu'un à la caisse d'une Fnac ou d'un Megastore avec un de nos disques en disant « ouah, ça y est, j'ai choisi le bon CD». Je ne voudrais pas idéaliser la chose, mais on a un public quand même assez motivé et assez militant, très attentif quand même.
Et le public n'a pas manqué de remarquer la petite Allegra, et ses chansons si sucrées qu'elles provoquent à coup sur la venue de la Tooth Fairy: « Allegra est en pensionnat en Angleterre. Personne n'en a rien eu à foutre alors... A chaque fois, on lance une bouée dans la mer, mais je me décourage vite. Je suis un peu responsable, vu que je m’attends souvent au tube OVNI, qui n'est jamais totalement dans le format radio. Je ne veux pas être un fournisseur de The Do ou Yaël Naïm parce que c’est ce que les programmateurs veulent, les mêmes qui nous reprochaient de faire des morceaux en anglais, alors que maintenant, on nous reproche le français. Si demain il y a un disque en morse qui sort et cartonne, ils en voudront tous ! »
Le concert de Chelles coupe court à notre discussion. BB et March n'ont pas joué en morse. Mais le public a salué. Le retour se fera humblement en RER. L'occasion pour nous d'achever April March déjà bien épuisée avec quelques questions sur l'album, tout juste sorti, Magic Monsters, qu'elle ne joue pas du tout lors de cette tournée.
April March :« Avec Steve Hanft nous voulions que ce soit une conversation, alors on a acheté chacun un petit Radio Shack, et on se jouait nos idées au téléphone. Le résultat est très californien, parce que c’est le grand truc de Steven, mais on partage aussi énormément musicalement. »
Et cette tournée avec Bertrand Burgalat, en pleine période où elle devrait plutôt assurer la tournée de cet album, n'a strictement rien à voir. « Different animals » dira-t-elle. Quand on insiste à pousser la comparaison Hanft/Burgalat, elle compare les deux à des pommes et des poires. Message reçu. Et Tricatel, fruit de la passion ?
April March: « Je me sens très impliquée dans Tricatel, c’est une vraie famille pour moi, dont je suis très fière, même si j’ai sorti Magic Monsters sur Martyrs Of Pop. On voulait le sortir en cd, mais ça a foiré avec le distributeur. En France, comme Jean-Emmanuel est un grand ami à moi, il nous a sauvé la mise avec le format vinyle ».
Bertrand: « On lui doit tous les deux beaucoup ; sans lui, on ne se serait pas rencontré »
April: « Pour moi c’est quelqu’un d’important pour la musique française. Un de ces jours, quelqu’un va se dire « mince, qui c’est ce type ? »
Avant d'arriver à destination, demi tour à la station Tricatel:Bertrand Burgalat : « Plus le temps passe, plus on va se rapprocher de l’esprit d’origine, du côté « instrument de travail ». J’ai perdu beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à sortir des projets pas vraiment standards, dans des structures qui l’étaient encore moins. On tâtonne encore, mais à mon avis s’il y a un avenir pour Tricatel, il se fera sous cette forme artisanale, pas par trois disques dans un bac à fouille de la FNAC. Je veux garder cette joie de faire des disques, sans que la grande déprime suive avec les négociations puis le refus des diffuseurs radio. Je suis quand même déjà sacrément fier : on n'a arnaqué personne, on tient encore debout. »
Extirpation du RER C. Dans les couloirs de la gare, le frappé de Tricatel qui dansait comme un dératé tout le long du concert félicite Bertrand Burgalat, l'agent provocateur des fourmis dans ses jambes. Chacun s'empresse de rejoindre sa correspondance, mais nous décrochons quelques dernières révélations. April March reviendra bientôt à Paris enregistrer un nouvel album avec Burgalat.
Il est aussi question d'écrans, grands et petits. Mais surtout pas d'adieu, puisque Tricatel a toujours de nouvelles clés, dont la rareté explique d'ailleurs qu'elles ne puissent pas être des passe-partout.
http://www.tricatel.com/