mardi 10 février 2009

Bertrand Burgalat, la clé sur la porte

L'entretien est originellement publié ici, sur Gonzai.


« La difficulté, ce n'est pas quelqu'un qui n'aime pas le rock, c'est les gens qui croient aimer le rock. » attaque Betrand Burgalat, dès les balbutiements d'une nuit non pas à Taverny mais à Chelles, en banlieue de Paris. Les Cuizines de Chelles reçoivent ce soir de janvier l'encéphale de Tricatel et April March. Ils joueront devant un public majoritairement assis, à l'exception près d'un fan aux jambes azimutées que nous retrouverons plus loin dans notre périple.
Sur le flyer, le ton est donné : le dandy de la pop française fait son tour d'honneur avant de se retirer de l'estrade. Pourtant, il compare cet adieu à la compilation Au Coeur de Tricatel sortie en 1999, alors qu'il pensait tout arrêter. Même s'il se dit fatigué de convaincre, il charrie quand même sur une tournée du retour pour mars. En insertion avec la team de la tournée, nous notons sur notre petit carnet que la set list se prépare en charades improvisées par le band (membres d'Hyperclean et Aquaserge), par les guests Henning Specht, découverts sur myspace, et Yattanoel, ami poète de longue date. Ne manquons pas non plus de balancer que dans les backstage les posters qui font se côtoyer AS Dragon et des groupes de ska festif aux noms en calembours provoquent un foutage de gueule général dont je garde les détails pour un magazine à scandale qui me rémunèrera plus qu'ici. Les lecteurs de Gonzai devront se contenter de l'un des plus clairvoyants et bienveillants bilan de carrière de Monsieur Tricatel qui a définitivement quelque chose à dire sur des serruriers dont ils se serait bien passé : les intermédiaires entre sa musique et le public coupables d'avoir posé des « verrous ».
« Le milieu du rock aujourd’hui, c’est l’antithèse de tout ce qu'il y a de beau dans le rock. Il y a presque beaucoup plus de trucs à apprendre au contact d’un agent de boîte de sécurité qu’à un dîner avec un programmateur de radio rock ! ».
Radios, journalistes, disquaires, les voici ceux qui devront un jour comparaître pour non assistance à culture en danger. Et même si Gonzai est loin d'être le plus coupable, une mise au point de Bertrand s'imposait sur l'article de Little Johnny Jet au sujet des Shades.
"Des gens ricanent sur les Shades. Moi je trouve ça très bien; mais je dis ok les gars, trouvez moi mieux qu'un texte comme Le temps presse ! C'est normal qu'il y ait de l'inertie, mais ce que j'avais trouvé bête, c'est que la seule chronique méchante sur les Shades venait des gens probablement les plus proches. Moi j'ai connu ça dans le cas de Lenoir ou des Inrocks. Je pensais que ce seraient ces gens là les plus enthousiastes au sujet de Tricatel mais ce n'est pas avec eux que ça a été le plus facile. Puis on a eu des surprises : des papiers à la fois dans des fanzines ou dans des canards super grand public, comme Paris Match. Mais il est aussi question de trajectoires, car on voit des gens super passionnés, puis vient le passage où la passion est plus émoussée, où malgré soi, il y a une paresse qui s'instaure. Par exemple, en faisant une émission sur I-télé avec Manœuvre, je me suis rendu compte qu'il ne fallait jamais envoyer un disque cellophané. Même les décellophanés, ça te fatigue. Ce qui est marrant, c'est d'essayer de garder la curiosité que l'on peut avoir pour la musique. Par exemple, il faut éviter de lire les biographies. Il faut éviter d'en savoir le plus possible sur les gens. Des fois on a des surprises, il y a des gens que je croyais détester ; puis en tombant sur un cdr on se dit « ouah c'est pas mal » puis « ah ouais c'est ce con ! » et on est surpris. On s'est donné beaucoup de mal sur l'album des Shades, la seule ligne qu'on a eu c'était de les laisser faire exactement ce qu'ils voulaient, y compris de faire des erreurs. Mais pour nous c'est important. Il ne s'agissait pas que je fasse mon disque par procuration. Car on y croit pour beaucoup plus longtemps et on sait qu'il fallait un premier album comme ça. Il fallait qu'ils s'affranchissent de certains trucs comme de la tutelle des Strokes. Et une fois qu'ils ont couché certains trucs, ils s'en sont instantanément débarrassés. On a quand même réussi à vendre 10 000 albums, ce qui n'est pas si mal quand on pense aux verrous qu'on n'arrive pas à faire sauter. Mais je ne voudrais pas qu'ils déploient toute cette énergie pour reproduire le symptome AS Dragon: Se faire récupérer par les mêmes personnes qui n'étaient pas là au début... Du genre Benjamin doit faire un disque solo etc..."
Bertrand Burgalat ne l'admettra peut-être pas, mais c'est tout de même un peu papa ours qui rugit dès qu'on attaque ses protégés. L'explication rationnelle à ce comportement, la voici: « Je suis plus sensible quand c'est le cas des Shades car j'ai connu leur situation. Même si j'ai l'impression que pour moi les choses se passent mieux qu'il y a quelques années, je me sens mieux compris. Encore qu'en province, je lis encore pas mal de papiers qui commencent par « avec son look de vendeur d'aspirateur, de directeur des RH » et j'ai eu « avec son look de sous préfet en vacances ». Mais c'est marrant car moi il y a plein de trucs que je n'aime pas en musique, mais ce n'est pas à cause du look des gens.»
J'ignore tout du look de Count Indigo, mais ce qui est sûr, c'est que ce projet n'a pas rencontré le succès attendu par Tricatel.
« Count Indigo je regrette énormément, car on voulait faire un disque moderne, qui ne soit pas dans les poncifs du R'nB de l'époque. Qui ne soit pas non plus un truc de soul nostalgique comme la soul qui se fait depuis Amy Winehouse. Count Indigo c'est le disque pour lequel on avait dépensé le plus d'argent, Serge Bozon avait fait un clip. Et je ne sais même pas si on a eu une seule critique. On était en porte à faux car ce n'était pas du rock indé et en même temps nous n'avions pas les clés pour le mainstream. Je pensais que Trinity était un tube, je suis allé voir la programmatrice de Fun Radio. J'ai dit « Oui j'ai la réputation de faire des trucs un peu en marge, mais j'aime bien Toxic de Britney Spears ». Et là elle m'a dit « ah ouais Toxic c'est la chanson qui n'a pas marché !» Je me suis dit, bah là... » Dans un genre très différent, je pense qu'un groupe comme les High Llamas n'a pas la reconnaissance qu'il devrait avoir, comme il y a douze ans quand on a sorti Eggstone. On a fait une tournée en France et c'était consternant, il n'y avait personne alors que c'est l'un des plus grands groupes de pop que j'ai jamais vu. C'est pour ça que là, pour la tournée, on s'est dit, on va pas forcer les gens à venir nous voir, on joue et les gens qui veulent venir nous voir viendront d'eux-mêmes.»

En attendant que la salle de Chelles se remplisse, nous suivons Bertrand au resto chinois. Entre deux nems et piqûres d'insuline, monsieur BB, parlez nous un peu du public de Tricatel: «Les gens que je rencontre dans les concerts, je les trouve agréables. C'est l'avantage d'avoir un public restreint. Je ne veux pas dire qu'on a un public meilleur que celui des autres mais je trouve que Tricatel demande un petit effort. Je n'ai jamais vu quelqu'un à la caisse d'une Fnac ou d'un Megastore avec un de nos disques en disant « ouah, ça y est, j'ai choisi le bon CD». Je ne voudrais pas idéaliser la chose, mais on a un public quand même assez motivé et assez militant, très attentif quand même.
Et le public n'a pas manqué de remarquer la petite Allegra, et ses chansons si sucrées qu'elles provoquent à coup sur la venue de la Tooth Fairy: « Allegra est en pensionnat en Angleterre. Personne n'en a rien eu à foutre alors... A chaque fois, on lance une bouée dans la mer, mais je me décourage vite. Je suis un peu responsable, vu que je m’attends souvent au tube OVNI, qui n'est jamais totalement dans le format radio. Je ne veux pas être un fournisseur de The Do ou Yaël Naïm parce que c’est ce que les programmateurs veulent, les mêmes qui nous reprochaient de faire des morceaux en anglais, alors que maintenant, on nous reproche le français. Si demain il y a un disque en morse qui sort et cartonne, ils en voudront tous ! »
Le concert de Chelles coupe court à notre discussion. BB et March n'ont pas joué en morse. Mais le public a salué. Le retour se fera humblement en RER. L'occasion pour nous d'achever April March déjà bien épuisée avec quelques questions sur l'album, tout juste sorti, Magic Monsters, qu'elle ne joue pas du tout lors de cette tournée.
April March :« Avec Steve Hanft nous voulions que ce soit une conversation, alors on a acheté chacun un petit Radio Shack, et on se jouait nos idées au téléphone. Le résultat est très californien, parce que c’est le grand truc de Steven, mais on partage aussi énormément musicalement. »
Et cette tournée avec Bertrand Burgalat, en pleine période où elle devrait plutôt assurer la tournée de cet album, n'a strictement rien à voir. « Different animals » dira-t-elle. Quand on insiste à pousser la comparaison Hanft/Burgalat, elle compare les deux à des pommes et des poires. Message reçu. Et Tricatel, fruit de la passion ?
April March: « Je me sens très impliquée dans Tricatel, c’est une vraie famille pour moi, dont je suis très fière, même si j’ai sorti Magic Monsters sur Martyrs Of Pop. On voulait le sortir en cd, mais ça a foiré avec le distributeur. En France, comme Jean-Emmanuel est un grand ami à moi, il nous a sauvé la mise avec le format vinyle ».
Bertrand: « On lui doit tous les deux beaucoup ; sans lui, on ne se serait pas rencontré »
April: « Pour moi c’est quelqu’un d’important pour la musique française. Un de ces jours, quelqu’un va se dire « mince, qui c’est ce type ? »
Avant d'arriver à destination, demi tour à la station Tricatel:Bertrand Burgalat : « Plus le temps passe, plus on va se rapprocher de l’esprit d’origine, du côté « instrument de travail ». J’ai perdu beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à sortir des projets pas vraiment standards, dans des structures qui l’étaient encore moins. On tâtonne encore, mais à mon avis s’il y a un avenir pour Tricatel, il se fera sous cette forme artisanale, pas par trois disques dans un bac à fouille de la FNAC. Je veux garder cette joie de faire des disques, sans que la grande déprime suive avec les négociations puis le refus des diffuseurs radio. Je suis quand même déjà sacrément fier : on n'a arnaqué personne, on tient encore debout. »
Extirpation du RER C. Dans les couloirs de la gare, le frappé de Tricatel qui dansait comme un dératé tout le long du concert félicite Bertrand Burgalat, l'agent provocateur des fourmis dans ses jambes. Chacun s'empresse de rejoindre sa correspondance, mais nous décrochons quelques dernières révélations. April March reviendra bientôt à Paris enregistrer un nouvel album avec Burgalat.
Il est aussi question d'écrans, grands et petits. Mais surtout pas d'adieu, puisque Tricatel a toujours de nouvelles clés, dont la rareté explique d'ailleurs qu'elles ne puissent pas être des passe-partout.
http://www.tricatel.com/

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